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France: l'accusation d'appartenance aux Frères musulmans pour disqualifier des personnalités

Depuis des décennies l'accusation d'appartenance à la confrérie des Frères Musulmans permet de pointer du doigt des personnalités publiques, des associations, et des structures musulmanes de manière à jeter sur elles un certain discrédit.

16:45 - 13/05/2024 lundi
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L'inquiétude et l'indignation se font de plus en plus palpables dans les rangs musulmans et même au-delà, tant cette étiquette de liens avec les Frères musulmans est posée de manière subjective pour jeter le discrédit sur des opposants.
Crédit Photo : JULIEN DE ROSA / AFP
L'inquiétude et l'indignation se font de plus en plus palpables dans les rangs musulmans et même au-delà, tant cette étiquette de liens avec les Frères musulmans est posée de manière subjective pour jeter le discrédit sur des opposants.

En France, rares sont les figures musulmanes à avoir échappé à cette étiquette, remettant en cause leur indépendance et laissant penser à une idéologie téléguidée depuis l'étranger pour servir des intérêts tiers.


Le 6 mai courant, le ministère de l'Intérieur annonçait le lancement d'une
"mission de hauts fonctionnaires sur l'islamisme politique et la mouvance des Frères musulmans".


La place Beauvau, qui accuse la confrérie de tenir
"un rôle majeur dans la diffusion"
d'une idéologie
"séparatiste"
entend ainsi
"appréhender ce phénomène dans sa globalité, en conscience de l'entreprise politique qu'il représente".

Pour ce faire l'ambassadeur François Gouyette et le préfet Pascal Courtade se sont vus confier une mission d'évaluation sur la mouvance des Frères Musulmans et ses liens avec les autres branches européennes.


Les deux hauts-fonctionnaires, rendront, à l'automne prochain, un rapport dressant un état des lieux de l'influence de l'islam politique en France et sont chargés d'analyser
"les objectifs, les méthodes déployées par la mouvance des Frères musulmans dans ce contexte, et l'adaptation des moyens actuels de la politique de lutte contre le séparatisme pour y répondre".

Depuis cette annonce, l'inquiétude et l'indignation se font de plus en plus palpables dans les rangs musulmans et même au-delà, tant cette étiquette de liens avec les Frères musulmans est posée de manière subjective pour jeter le discrédit sur des opposants.

L'association "Musulmans de France" dans le viseur des autorités, monte au créneau


Créée en 1983 sous l'appellation d'UOIF (Union des Organisations Islamiques de France) avant de devenir "Musulmans de France" en 2017, l'association explique sur son site internet qu'elle souhaite
"œuvrer pour un Islam intégré et contributif à la société française et à ses valeurs"
et regroupe
"environ 280 associations musulmanes dont beaucoup gèrent des mosquées".

Interlocuteur privilégié des pouvoirs publics pendant des décennies, la structure est pourtant directement dans le viseur du ministère de l'Intérieur, d'après les révélations parues début mai dans les colonnes du JDD (Journal du dimanche).


Le journal affirme, en effet, que les services de renseignement français sont particulièrement attentifs aux activités et liens de l'organisation Musulmans de France, accusée depuis des années par la droite et l'extrême-droite, d'être l'émanation des Frères musulmans en France.

Dans un communiqué de presse publié jeudi dernier, l'association a réagi en dénonçant
"des insinuations graves et infondées qui laisseraient croire à une connivence de la fédération Musulmans de France avec l'Islam politique et ses mouvements".

Contrairement aux accusations distillées sciemment, Musulmans de France n'est subordonnée ni aux Frères musulmans ni à aucun autre mouvement prônant l'Islam politique.

"C'est une fédération franco-française qui œuvre pour l'Islam et les musulmans de France depuis 40 ans dans la légalité et le respect total des lois de la République. Elle est complètement transparente dans ses projets et indépendante dans ses décisions",
poursuit le communiqué consulté par Anadolu.

Pointant, par ailleurs, une "
tentative d'isolement, de stigmatisation et de dénigrement de l'Islam et des musulmans de France"
, Musulmans de France espère
"la fin de la suspicion et des amalgames avec l'Islam politique et les Frères musulmans".

Serait-ce un raccourci pour stigmatiser la masse des musulmans qui pratiquent paisiblement leur religion ?

"En effet, au-delà de l'incompétence manifeste de certains journalistes, hommes politiques ou prétendus spécialistes de l'Islam, il n'est pas difficile de déceler auprès de ces gens, leur volonté de nuire à la présence et à la quiétude des musulmans de France. Ces acteurs, pouvant être perçus comme islamophobes ou racistes, utilisent l'épouvantail "Frères musulmans" ou "Salafisme" pour dresser les Français contre cette partie de la communauté nationale et discriminer par cela la pratique de millions de musulmans, leurs mosquées, leurs associations, leurs établissements scolaires et leurs fédérations représentatives"
, est-il, enfin, noté.

Une inquiétante liste d'avocats accusés de liens avec les Frères musulmans


Dans la foulée de l'annonce, par la Place Beauvau, du lancement de cette mission visant à dresser à un État des lieux de l'influence des Frères musulmans en France, Europe 1 dévoilait une nouvelle information selon laquelle, les services de renseignement avaient établi une liste d'avocats, accusés d'être proches de cette mouvance.

Dans un article intitulé
"Réseaux d'avocats, procédures dilatoires : les Frères musulmans investissent en France le champ juridique"
, la radio affirme que les noms figurant dans cette liste sont
"acquis à la cause".

L'information a provoqué un véritable tollé dans la profession et nombre de ces avocats en appellent au CNB (Conseil national des barreaux) à réagir.


"Donc, en 2024, on dresse des listes sur des critères nauséabonds dans le plus grand des calme, la prochaine étape c'est de nous mettre une cible sur le dos?",
a grincé maître Yassine Yakouti, avocat au barreau de Paris, dans une publication sur son compte X.


Parmi ses confrères mentionnés, figurent, par ailleurs, Sefen Guez Guez, Nabil Boudi, ou encore Elise Arfi et Arié Alimi, pour ne citer que les plus médiatiques.


Ils ont tous en commun d'être intervenus dans des dossiers liés à des faits islamophobes ou relevant de discrimination à l'égard des musulmans.


Maître Nabil Boudi a, quant à lui, réagi:


"Si cette liste d'avocats dressée par les services de renseignement est réelle. Les organes représentatifs de la profession et le procureur de la république doivent se saisir de cette affaire de toute urgence".

Un État qui se met à surveiller des avocats, c'est la preuve d'une dérive autoritaire.

Disqualifier, discréditer et attenter à l'honneur


Dans les faits, la simple accusation de lien avec les Frères musulmans devient régulièrement un tampon venant anéantir les projets associatifs des uns et des autres.

Le 22 décembre dernier, le journal satirique Charlie Hebdo a été condamné par le tribunal correctionnel de Valence pour avoir diffamé l'association Valeurs et réussite dans un article publié en juillet 2022 et dans lequel il était fait état d'une prétendue proximité avec les Frères musulmans.


Cette condamnation, annulée en appel en avril, considérait, en effet, que
"le contexte politique actuel national et international l'associe à un islam radical moralement condamnable et que, dès lors, l'usage de ce terme est de nature à porter atteinte à l'honneur, à la réputation et à la considération sociale de la personne offensée".

Dans un entretien à Anadolu, le président de l'association Valeurs et Réussite, Mourad Jabri, souligne que l'article a conduit à une telle polémique, que la mairie de Valence, sur injonction de la préfecture, a décidé dans la foulée, d'annuler la vente d'un terrain alloué à sa structure.


"La conséquence c'est qu'on a perdu le projet de construction avec l'annulation de la vente parce que Charlie Hebdo est passé par là",
grince le dirigeant associatif qui se veut néanmoins optimiste et précise que la justice administrative aura à statuer sur cette annulation dans les prochains mois.

D'un point de vue plus global la notion d'appartenance à la confrérie des Frères musulmans fait l'objet de tous les fantasme en France et en Europe, grâce notamment aux analyses souvent biaisées de certaines figures adeptes d'une laïcité de combat.

L'anthropologue Florence Bergeaud-Blackler qui a, d'ailleurs, fourni une attestation à Charlie Hebdo, affirmant que Valeurs et Réussites est
"proche des Frères musulmans"
avant d'être désavouée pour la justice, s'est notamment illustrée par une série de déclarations qui posent question.

Par exemple, dans une séquence vidéo très largement relayée sur les réseaux sociaux et qui a provoqué l'indignation, tant dans les rangs musulmans que du côté des universitaires, elle a énoncé:


Moi j'ai connu une époque où on pouvait être musulman sans être Frères musulmans. Aujourd'hui, je ne sais pas si c'est possible sans être 'frériste'.

Reçue par le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin en mai dernier, cette dernière, est également l'auteure d'ouvrages particulièrement controversés comme
"La marché Halal ou l'invention d'une tradition"
ou encore
"Le frérisme et ses réseaux, l'enquête".

Si elle semble bénéficier de l'oreille attentive de la Place Beauvau comme le confirme à Anadolu une source bien informée, ses travaux demeurent, eux, très décriés.


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