"Jeunes masqués" : que deviendront les données HTS ?

06:5726/03/2025, mercredi
Ersin Çelik

Une chaîne YouTube turcophone financée par l’Allemagne a donné la parole à de jeunes manifestants ayant participé à des actions qualifiées de "favorables à la corruption et aux pots-de-vin" . Le site T24 a également relayé ces vidéos. Les images proviennent de Saraçhane. Les visages des interviewés sont cachés par des bonnets, des écharpes ou des t-shirts formant des masques. Le reportage démarre sur un ton intrigué : Nous leur avons demandé pourquoi ils cachaient leur visage. Puis il précise :

Une chaîne YouTube turcophone financée par l’Allemagne a donné la parole à de jeunes manifestants ayant participé à des actions qualifiées de "favorables à la corruption et aux pots-de-vin". Le site T24 a également relayé ces vidéos.

Les images proviennent de Saraçhane. Les visages des interviewés sont cachés par des bonnets, des écharpes ou des t-shirts formant des masques.


Le reportage démarre sur un ton intrigué :


Nous leur avons demandé pourquoi ils cachaient leur visage.

Puis il précise : "Nombre d’entre eux disent vouloir éviter des ennuis futurs pour leur recherche d’emploi et ne pas subir des sanctions juridiques qu’ils estiment injustes."

Voyons maintenant ce que disent ces jeunes…

Une fille dont le visage est entièrement couvert, au point que ses yeux sont invisibles, déclare : "Nous avons peur de ne pas trouver de travail à cause d’une simple photo prise ici."

Un autre jeune, au visage partiellement découvert – nez, yeux, sourcils et cheveux bien visibles – affirme : "Personnellement, je cache mon visage uniquement parce que je veux décrocher un emploi. Je veux travailler. Je ne veux pas être fiché."

Un autre manifestant, étudiant en informatique, dit qu’il cache son visage pour "ne pas compromettre son avenir". En parlant, il ajuste nerveusement son masque, de peur qu’il ne glisse.

Le texte accompagnant la vidéo sur T24 se termine par deux questions :


Et toi, qu’en penses-tu ? Ont-ils raison d’avoir peur ?

Parallèlement, certains médias et influenceurs ayant incité ces jeunes à descendre dans la rue ont publié des vidéos expliquant comment cacher entièrement son visage, façon "viens masqué à l’anniversaire". Des adultes proches du CHP, restés chez eux, ont joué aux révolutionnaires à distance en commentant sous ces vidéos : "Trop mignons ces jeunes."

Revenons aux craintes des jeunes… Elles sont compréhensibles, mais aussi incomplètes, naïves, et pourraient très bien ne leur servir à rien.


Car porter un masque durant une manifestation est en soi un délit. Ce geste, visant à dissimuler son identité, est puni de 2 ans et demi à 4 ans de prison (voir : loi n° 2911, art. 33/a).

Souvenons-nous : de nombreux participants au mouvement de Gezi, identifiés plus tard, n’ont jamais pu accéder à la fonction publique. Certains ne savent même pas pourquoi leur candidature a été rejetée. D’autres n’ont pas pu trouver d’emploi dans le privé non plus. J’ai vu de nombreux dossiers d’embauche refusés avec la mention "incompatible avec la culture de l’entreprise". Certains, pourtant silencieux pendant Gezi, ont été suspectés d’avoir effacé leurs anciennes publications, et même cela a suscité des doutes. Ainsi, beaucoup de manifestants – surtout ceux impliqués les trois premiers jours – ont supprimé leurs comptes pour effacer leurs traces numériques.

Et pourtant, douze ans après Gezi, de nouveaux procès sont en cours. Avec des preuves montrant que les précautions des jeunes masqués sont inutiles. Par exemple, la connexion entre Ayşe Barım, inculpée dans l’affaire Gezi, et Osman Kavala a été révélée grâce aux données HTS (historique des connexions téléphoniques). Ces données ne se contentent pas de répertorier les appels : elles permettent aussi de prouver la présence d’une personne dans un lieu donné.

Ainsi, les masques des jeunes de Saraçhane ne servent à rien. Même si leurs visages sont dissimulés, s’ils avaient leur téléphone allumé, leur identité peut être révélée. Deux juristes spécialisés m’ont confirmé que "si l’État le souhaite, il peut savoir, d’une simple requête, où se trouvait une personne, combien de temps elle y est restée, et même le trajet qu’elle a parcouru". Si les événements de Saraçhane se transforment en procès d’envergure, comme Gezi, l’État pourra lancer ce type d’enquête sur tout candidat à un poste public.

Mais tout cela dépend de la volonté politique. Si ceux qui gouvernent ignorent les affaires de corruption et choisissent de ne pas embaucher ceux qui ont manifesté aux côtés de casseurs de mosquées, de lanceurs d’acide ou d’insulteurs de la mère défunte du président Erdoğan… alors ces "masques" tomberont à jamais.

Certains verront dans ce texte une menace ou une tentative de fichage. C’est faux. J’en ai parlé dans de nombreuses conférences : dans l’écosystème numérique, personne n’est vraiment invisible. Personne ne vous surveille en temps réel, mais si on le souhaite, on peut facilement consulter les archives. Le temps des publications anonymes est terminé. Si un crime est commis, la police retrouve les auteurs avec une précision redoutable.


Ceux qui manipulent les jeunes avec des vidéos virales savent tout cela. Ceux qui envoient des étudiants dans des zones à haut risque, parmi des groupes marginaux parfois liés au terrorisme, sont en train de sacrifier l’avenir de cette génération qu’ils prétendent défendre. Et ils le font pour préserver leur propre avenir politique, et détourner l’attention des scandales de corruption qui les éclaboussent. Ils se cachent derrière les masques artisanaux de jeunes de 18 ans pour que leurs propres "masques" ne tombent pas.

La situation est à la fois limpide et chaotique. Espérons que ce ne soit pas les trolls qui dominent les places publiques, mais la raison. Et espérons surtout que quelqu’un prenne la peine d’expliquer cette simulation d’avenir possible à ces jeunes.

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