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De la réforme à la destitution: Comment les manifestations étudiantes au Bangladesh ont fait tomber le gouvernement Hasina

18:266/08/2024, mardi
MAJ: 6/08/2024, mardi
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Des manifestants anti-gouvernementaux arborent le drapeau national du Bangladesh alors qu'ils prennent d'assaut le palais de la Première ministre Sheikh Hasina à Dhaka, le 5 août 2024.
Crédit Photo : K M ASAD / AFP
Des manifestants anti-gouvernementaux arborent le drapeau national du Bangladesh alors qu'ils prennent d'assaut le palais de la Première ministre Sheikh Hasina à Dhaka, le 5 août 2024.

À la mi-juillet, alors que les manifestations faisaient rage au Bangladesh, Sheikh Hasina projetait encore une aura d'invincibilité, ayant gouverné le pays pendant plus de 15 ans, avec quatre mandats consécutifs en tant que Première ministre.

Tout cela a pris fin en quelques semaines, car ce qui avait commencé par des étudiants protestant contre un système de quotas dans les emplois publics s'est transformé en un vaste mouvement antigouvernemental qui a contraint Mme Hasina à démissionner et à quitter le pays à bord d'un hélicoptère militaire, lundi dernier.


L'abandon des demandes de réformes au profit d'un programme unique de destitution de Hasina a été motivé par une série de faux pas du gouvernement, allant d'une visite bilatérale très médiatisée à l'utilisation de commentaires incendiaires et de la force meurtrière.

Voyage en Chine


Le 8 juillet, Mme Hasina a entamé une visite bilatérale de quatre jours en Chine, après un voyage en Inde deux semaines auparavant. Ces voyages constituaient ses premiers engagements diplomatiques de haut niveau depuis sa réélection en janvier.


L'Inde et la Chine ont joué un rôle crucial dans l'équilibre diplomatique de Mme Hasina, New Delhi étant un allié politique et Pékin un partenaire économique majeur.


Cependant, juste avant sa visite en Chine, deux de ses principaux adjoints ont fait des déclarations controversées sur la Chine. Le 3 juillet, le ministre des Affaires étrangères Hasan Mahmud a fait remarquer que l'Inde n'avait
"aucune objection"
au prochain voyage de Mme Hasina en Chine.

Le lendemain, Obaidul Quader, secrétaire général de la Ligue Awami, le parti de Mme Hasina, a déclaré que l'Inde était
"l'ami politique du Bangladesh, tandis que la Chine n'est qu'un partenaire de développement".

Ces commentaires ont suscité un flot de critiques, Ruhul Kabir Rizvi, co-secrétaire général du parti nationaliste du Bangladesh (BNP), suggérant que le voyage de Mme Hasina en Chine avait été essentiellement sanctionné par New Delhi, ce qui impliquait qu'elle était sous l'influence de l'Inde.


De plus, le fait que Quader ait qualifié la Chine de simple
"partenaire de développement"
aurait déplu à Pékin.

Bien que la Chine n'ait pas fait de déclaration dans ce sens, les résultats financiers du voyage de Hasina ont alimenté la rumeur.


Avant la visite, les médias locaux avaient prévu des accords financiers avec Pékin d'une valeur d'environ 20 milliards de dollars, mais Hasina est revenue avec seulement 100 millions de dollars, et ce, un jour plus tôt que prévu.

Rhétorique 'Razakar' et violence


À son retour de Chine, Mme Hasina a donné sa conférence de presse habituelle, une pratique qu'elle a suivie après chaque voyage bilatéral.


Tout au long de son long mandat, Hasina était connue pour son interaction régulière avec les médias. Lors de ses conférences de presse, les journalistes lui témoignaient souvent un certain respect et posaient rarement des questions qui la poussaient à sortir de sa zone de confort.


Toutefois, lors de la conférence de presse du 14 juillet, Mme Hasina est apparue anormalement fatiguée et manquait de son assurance habituelle.


Interrogée sur les manifestations étudiantes en cours, Mme Hasina a commis un faux pas important en qualifiant indirectement les manifestants de
"Razakar",
un terme très offensant au Bangladesh qui fait référence à ceux qui ont soutenu l'armée pakistanaise pendant la guerre de libération de 1971.

Ce qualificatif a suscité l'indignation générale, transformant une manifestation pacifique en un soulèvement violent.


Les étudiants protestataires ont organisé une marche massive pour exprimer leur colère face aux commentaires de Mme Hasina, en scandant un slogan provocateur:


Qui êtes-vous ? Je suis Razakar... Dit qui ? Un autocrate.

Plutôt que de répondre sérieusement aux griefs des étudiants, plusieurs hauts dirigeants de la Ligue Awami ont aggravé la situation en vilipendant encore davantage les manifestants.


Ils sont même allés jusqu'à affirmer que les étudiants, en s'identifiant comme Razakar, n'avaient
"pas le droit de vivre au Bangladesh".

Quader, le secrétaire général de la Ligue Awami, a alors annoncé que l'aile étudiante du parti, la Ligue Chhatra du Bangladesh (BCL), donnerait une
"réponse appropriée"
à ces soi-disant
"traîtres".

Le 15 juillet, des militants de la BCL ont pris pour cible les manifestants et ont même bénéficié de la protection de la police. Le lendemain, les affrontements violents avaient fait au moins six morts dans tout le pays.


Manque d'empathie


Après l'effusion de sang, Hasina s'est adressée à la nation, mais son discours n'a montré aucune empathie envers les manifestants décédés et n'a pas reconnu son rôle dans l'escalade du mouvement initialement pacifique.


Comme l'a fait remarquer Shafiqul Alam, un journaliste chevronné de Dhaka,
"pour les étudiants, c'est devenu un combat pour la dignité":

Pour les étudiants, il s'agissait d'une lutte pour la dignité plutôt que d'une simple réforme des quotas.

"Ils ne pouvaient pas accepter que Hasina puisse éviter de rendre des comptes pour ses commentaires désobligeants".

Dans les trois jours qui ont suivi, avant que le gouvernement n'impose un couvre-feu et ne déploie l'armée, plus de 200 personnes ont été tuées, dont près de 80 % d'étudiants et de citoyens ordinaires, selon Prothom Alo, le plus grand quotidien du pays.

Malgré le nombre élevé de morts, l'administration Hasina s'est efforcée de détourner l'attention du public des victimes pour la porter sur les
"dommages économiques"
causés par les manifestants lors de leurs attaques contre des biens publics, notamment un métro et un bâtiment de la télévision d'État.

Les autorités ont accusé les principaux partis d'opposition, le BNP et le Jamaat-e-Islami, de
"détourner"
les manifestations pour faire avancer leur programme politique, dans le but de provoquer des perturbations et de renverser le gouvernement.

Au lieu de rendre visite aux familles endeuillées, Mme Hasina a donné la priorité à l'inspection des biens endommagés, ce qui n'a fait qu'attiser la colère des étudiants et du grand public.


Les médias sociaux ont rapidement été inondés de critiques sur le manque d'empathie perçu par Hasina, et une vague croissante de mécontentement a commencé à déferler sur la population.


Appel à la démission


Le 3 août, des dizaines de milliers de personnes se sont rassemblées devant le monument Shaheed Minar, à Dhaka, la capitale, pour demander une seule chose: la démission d'Hasina.


La foule était diverse, comprenant des personnes qui avaient auparavant soutenu le gouvernement d'Hasina, et tous ont exprimé leur frustration face au refus d'Hasina de s'excuser pour la mort d'un si grand nombre d'étudiants.


Malgré l'indignation croissante, les responsables de la Ligue Awami ont semblé sous-estimer l'ampleur de la colère du public.


Le 4 août, le ministre d'État à l'information et à la radiodiffusion, Mohammad Ali Arafat, accusait encore l'opposition d'avoir mal guidé les étudiants et affirmait que le gouvernement ferait preuve de fermeté face à l'agitation.


À la fin de la journée, une centaine de personnes supplémentaires avaient été tuées, ce qui a incité les étudiants à annoncer une marche pour
"s'emparer de la capitale"
le 5 août, jour qui a marqué la fin des 15 années de pouvoir de Mme Hasina.

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