Les Oromos d'Ethiopie célèbrent leurs traditions, anciennement opprimées

17:019/10/2023, lundi
AFP
Crédit photo: Amanuel Sileshi / AFP
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Dans la chaleur naissante du petit matin, des dizaines de milliers d'Oromos affluent vers un lac à environ 50 km d'Addis Abeba pour y célébrer Irreecha, un festival religieux et culturel ancestral, mais aussi une caisse de résonance pour les revendications identitaires et politiques longtemps étouffées.

Marée blanche de robes, de tuniques ou de costumes, souvent ornés des couleurs noir-rouge-blanc du drapeau oromo, des enfants, des femmes et des hommes de tous âges ont convergé dimanche à pied jusqu'au lac Hora Arsadi, épicentre annuel de cette célébration, situé dans la localité de Bishoftu.


Représentant environ un tiers des quelque 120 millions d'Ethiopiens, les Oromo sont le plus nombreux des quelque 80 peuples que compte l'Ethiopie.

"Ireecha est une célébration traditionnelle et culturelle importante pour le peuple oromo",
explique Sabkebar Gezu, 35 ans, patron d'une petite entreprise.
"Les Oromo viennent au lac rendre grâce à Wakaa"
, une divinité ancestrale source de vie,
"pour la fin de la saison des pluies et l'arrivée du printemps".

Les Oromo se divisent à peu près également entre chrétiens et musulmans. Beaucoup désignent communément Dieu du nom de Waaqa, et certains pratiquent encore le Waaqueffannaa, le culte à Waaqa.

Le Waaqeffannaa a accompagné le réveil depuis trois décennies des revendications identitaires oromo, dont la culture et les traditions ont été longtemps opprimées dans l'Ethiopie moderne, unifiée au XIXe siècle par les conquêtes des Empereurs chrétiens de la dynastie salomonide, qui se revendiquaient héritiers du roi Salomon et de la reine de Saba.


Couronné en 1889, l'empereur Menelik puis ses successeurs ont progressivement imposé la langue et la culture amhariques comme modèle national éthiopien, en déniant aux Oromo leurs traditions. L'historiographie officielle de l'époque faisait des Oromo des
"barbares"
à civiliser.

Le régime militaro-marxiste du Derg, qui a renversé l'Empereur Haile Selassie en 1974, a lui aussi largement réprimé leurs revendications culturelles.


Longtemps interdite, la célébration d'Ireecha est réapparue à la fin des années 1990, après que le nouveau régime fédéraliste, qui a remplacé le Derg, a garanti, via la Constitution de 1994, le droit aux nationalités composant l'Ethiopie de
"promouvoir leur culture"
, tout en restreignant largement la liberté d'expression.

"Notre force"


Tola Micha, 52 ans, en costume blanc rehaussé d'une cravate aux couleurs oromo, se souvient du retour des premières célébrations d'Ireecha, après la chute du Derg en 1991:
"au début, nous étions quelques centaines, maintenant nous sommes présents en nombre, ça me rend fier".
"Irreecha, c'est notre poing, elle représente notre force"
, assure-t-il.

"Nous avons hérité de cette culture de nos ancêtres, et il nous faut la garder vivante"
, car le peuple et la culture oromo
"ont été marginalisés durant de nombreuses années",
souligne Fantam Bogale, commerçant de 28 ans venu de Wolliso, à 100 km de là.

"Les générations précédentes ont payé le prix fort pour que notre génération puisse venir ici célébrer"
Irreecha, rappelle Sabkeba Gezu.

Pour Kiya Tadessa, 24 ans, employé d'une ONG,
"Ireecha est un événement culturel qui n'a rien de politique",
même si certains essaient de
"détourner son message"
.

Soudain, des messages politiques fusent d'un groupe:


Beaucoup d'Oromo sont emprisonnés ! Nous sommes marginalisés ! Nous ferons respecter nos droits ! Nous respectons le gouvernement, mais cela ne veut pas dire que nous sommes faibles.

Les slogans réclament aussi la fin du conflit qui ravage leur Etat régional de l'Oromia, dont de larges zones sont aux mains de groupes armés, entre l'insurrection antigouvernementale et le banditisme, et qui est le théâtre de massacres ethniques.

Depuis l'arrivée au pouvoir en 2018 d'Abiy Ahmed -Oromo par son père- c'est un des leurs qui gouverne pour la première fois l'Ethiopie. Mais sa popularité a chuté jusqu'en Oromia, et nombre d'Oromo cachent mal leur déception. Souvent par périphrases prudentes, car on évite de parler publiquement de politique en Ethiopie. M. Sabkeba ajoute:


De nombreux problèmes du peuple oromo restent ignorés, et pas seulement des questions culturelles.

"Tout cela ne nous a pas été donné gratuitement, beaucoup ont versé leur sang (...) et aujourd'hui encore (...) de nombreux sujets ne sont pas pris en considération. Toutefois, c'est un peu mieux, on peut venir ici et célébrer librement notre culture"
, estime Ababa Korsa, une comptable de 30 ans.

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