Crédit Photo : OMER ABRAR / AFP
Le personnel de sécurité armé des talibans marche le long d'un champ de blé dans le district d'Argo, dans la province de Badakhshan, le 6 mai 2024.
Vu du ciel, l'Afghanistan est un excellent élève en matière d'éradication du pavot. Mais, dans les champs, au ras des fleurs à opium, on voit des paysans résister aux unités talibanes antinarcotiques, parfois au prix de leur vie.
La fin de la semaine dernière a ainsi été émaillée d'affrontements qui ont fait deux morts dans la province du Badakhshan, dans le nord-est.
Premier producteur mondial jusqu'au bannissement de la culture du pavot par le chef suprême des talibans en avril 2022, l'Afghanistan a vu chuter sa production d'opium de 95% l'an dernier, selon l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC).
Un résultat spectaculaire salué par la communauté internationale mais une catastrophe pour les cultivateurs dont le revenu a chuté de 92%.
Vendredi et samedi, des heurts violents ont opposé dans le Badakhshan agriculteurs et unités antinarcotiques envoyées détruire, au moment de la récolte, les champs de pavots qui subsistaient.
La police a fait état d'un mort dans le district d'Argo au cours d'affrontements entre une unité talibane et des cultivateurs
"manipulés par des conspirateurs"
. Lundi, elle a confirmé qu'une deuxième personne avait été tuée, dans le district de Darayim.
A Argo,
"les gens ont jeté des pierres et des bouts de bois"
et
"tenté de brûler les véhicules et les équipements"
de destruction des cultures, a affirmé le porte-parole de la police.
Des habitants ont dit à l'AFP qu'un cultivateur avait été tué par un taliban vendredi dans le district de Darayim et un autre tué et six blessés samedi à Argo.
Evoquant
"des événements tragiques",
le porte-parole du gouvernement Zabihullah Mujahid a rappelé sur X que le décret sur l'éradication du pavot concernait
"toutes les régions sans exception".
Tous les cultivateurs de pavot n'ont pas pu se tourner vers des cultures de substitution.
Et des paysans se plaignent de discriminations en matière de destruction de leurs champs. Certains, disent-ils, sont épargnés grâce à leurs bonnes relations avec les talibans.
Un habitant d'Argo a raconté à l'AFP, sous couvert d'anonymat, l'intervention des membres de l'unité intervenue pour détruire vendredi des champs de pavot.
"Ils sont entrés dans les maisons (...) en fracturant les portes"
, a déclaré cet homme de 29 ans.
"Puis ils ont tiré sur ceux qui résistaient (...), tuant l'un d'entre eux et en blessant quatre autres".
Un agriculteur de 45 ans, ayant également requis l'anonymat, a assuré que
"les forces de sécurité (avaient) fait irruption dans les maisons, insultant et battant des gens".
Un troisième habitant d'Argo a expliqué que les talibans étaient entrés de force dans les maisons vendredi, jour de prière musulmane,
"sans avertir les anciens ni les imams".
Sur X, une vidéo montre plusieurs dizaines d'hommes manifestant, certains portant apparemment un corps, à Darayim.
, scande la foule, faisant référence au nom officiel du pays, l'
"Emirat islamique d'Afghanistan".
Un homme demande :
"Pourquoi n'y a-t-il pas eu de coordination ? Personne n'était opposé à l'éradication de la drogue quand on a eu des réunions avec le gouverneur de la province et d'autres"
responsables.
Dans une autre vidéo tournée à Darayim, l'un des protestataires accuse :
"Ils ont semé la panique, ils ont été sauvages".
Avant d'ajouter :
"Nous n'avons rien contre le gouvernement".
Ce dernier a annoncé avoir dépêché une commission pour
"une enquête approfondie"
, dirigée par le chef d'état-major des armées Fasihuddin Fitrat, originaire du Badakhshan.
Selon des messages sur les réseaux sociaux, les paysans se sont plaints d'intrusions chez eux de talibans ne parlant pas leur langue, Argo étant en majorité peuplé d'Ouzbeks et Darayim de Tadjiks.
Comme la province orientale du Nangarhar, le Badakhshan avait déjà été secoué, l'an dernier, par des troubles similaires, qui avaient fait un mort.
Cette province est isolée, située en altitude et enneigée six mois de l'année. Les paysans cultivent le pavot
, sur de petites surfaces et n'ont qu'une récolte par an, au printemps.
L'interdiction du pavot a fait exploser les prix de l'opium de 124% en un an : ils atteignaient en mars dernier entre 800 et 1.000 dollars le kilo.
Ces affrontements
"pourraient indiquer que les fermiers manquent de ressources pour leurs besoins de base et des récoltes alternatives pourraient aider"
, a déclaré à l'AFP un haut responsable de l'UNODC.
Les pommes de terre ou les haricots rouges pourraient être une option.
Pour le gouvernement taliban, la communauté internationale est responsable.
Elle
"devrait coopérer avec l'Emirat islamique en proposant des solutions alternatives... Malheureusement, aucune coopération n'a eu lieu"
, disait à l'AFP en décembre le porte-parole du gouvernement.
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