L'esclavage moderne, un fléau au Brésil

13:428/03/2023, Wednesday
MAJ: 8/03/2023, Wednesday
AFP
Crédit photo: CARL DE SOUZA / AFP
Crédit photo: CARL DE SOUZA / AFP

Electrochocs, coups, menaces de mort. Le cauchemar de plus de 200 vendangeurs victimes d'esclavage moderne dans le sud du Brésil a choqué tout le pays, où ce fléau touche de nombreux secteurs d'activités. 

"Il y a de plus en plus de gens travaillant dans des conditions semblables à l'esclavage"
, assure à l'AFP le procureur Italvar Medina, de la Coordination nationale éradication du travail esclave (Conaete).

Le nombre de personnes libérées du joug d'employeurs criminels a plus que doublé en deux ans, passant de 936 en 2020 à 2.075 en 2022, selon les données officielles de l'inspection du travail.


Et le chiffre de l'an dernier n'avait jamais été aussi élevé depuis 2013 (2.808).


L'année a commencé sur une note préoccupante, avec le cas emblématique de Bento Gonçalves (sud), où 207 personnes travaillaient dans des conditions extrêmement dégradantes dans des vignes.

Elles ont pu être libérées lors d'une opération policière il y a deux semaines, grâce à la dénonciation d'un groupe qui s'était échappé.


Selon le ministère du Travail, les vendangeurs avaient été recrutés à 3.000 km de là, dans l'Etat de Bahia, par une société fournissant de la main d'oeuvre à trois grandes entreprises viticoles de la région de Bento Gonçalves, connue notamment pour ses mousseux vendus dans tout le Brésil, mais aussi à l'étranger. 


Dettes impayables


Des témoignages glaçants relayés par le ministère ou publiés dans les médias locaux font état d'électrochocs pour réveiller les travailleurs à l'aube, d'agressions avec des matraques ou des manches à balai, et de menaces telles:
"un bon Bahianais est un Bahianais mort"
.

Ils étaient entassés dans un hangar et la nourriture qu'on leur servait dans les vignes était immangeable car elle restait des heures au soleil.


Pour obtenir davantage de nourriture, ils devaient l'acheter sur place à des prix prohibitifs, s'endettant à tel point qu'ils ne recevaient pas leur salaire et étaient empêchés de rentrer chez eux.

Les trois entreprises viticoles ont dit rejeter catégoriquement le travail dans des conditions semblables à l'esclavage et ont incriminé les sociétés de main d'oeuvre.


"Ce n'est pas un cas isolé, et c'est la conséquence d'un modèle économique qui tue"
, affirme Andrei Thomaz Oss-Emer, de la Commission Pastorale de la Terre (CPT), association catholique défendant les travailleurs ruraux.

"De nombreuses grandes entreprises du secteur agroalimentaire ont recours à des fournisseurs de main d'oeuvre pour exploiter des terres de plus en plus étendues, et on se retrouve avec des situations d'esclavage moderne"
, poursuit ce philosophe et militant associatif basé dans le sud du Brésil.

"Racisme structurel"


Pour Mauricio Krepsky, coordinateur du Groupe de combat contre le travail similaire à l'esclavage du ministère du Travail, le cas des vignobles de Bento Gonçalves  
"tire la sonnette d'alarme"
.

"Cela montre que ces violations peuvent avoir lieu dans tous les secteurs, même ceux dans lesquels il n'y avait pas de cas aussi graves dans le passé"
, comme dans les vignobles.

Ce début d'année a également été marqué par un cas beaucoup moins médiatisé, concernant 139 personnes travaillant dans une usine de transformation de cane à sucre dans l'Etat de Goias (centre-ouest).


L'esclavage moderne au Brésil touche majoritairement les activités agricoles, surtout la cane à sucre et le café, mais des cas ont également recensés en milieu urbain, notamment dans la confection ou le bâtiment.


Selon Mauricio Krepsky, ce problème est intimement lié
"au racisme structurel"
, la grande majorité des travailleurs concernés étant noirs, dans le dernier pays d'Amérique à avoir aboli l'esclavage, en 1888.

"Les employeurs ne font pas cela seulement pour augmenter leurs bénéfices, ils pensent vraiment que ces personnes peuvent être traitées comme des travailleurs de seconde zone en raison de leur couleur de peau"
, insiste-t-il.

Italvar Medina estime pour sa part qu'il y a
"une culture de la dévalorisation"
de la main d'oeuvre non qualifiée au Brésil.

"Une fois qu'on les a soustraits au joug de ces employeurs, il faut un suivi, y compris psychologique, pour les aider à se réinsérer dans le marché du travail légal et éviter qu'ils soient à nouveau exploités"
, préconise le procureur.

Mais les autorités compétentes manquent cruellement de moyens: le dernier concours pour recruter des inspecteurs du travail remonte à 2013.


"Il y a moins de 2.000 inspecteurs dans un pays de 215 millions d'habitants, c'est bien trop peu, et il est fort possible que certains employeurs s'adonnent à ces pratiques par sentiment d'impunité"
, conclut M. Krepsky.

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