RDC: à Goma, Fally Ipupa enchante les VIP et déçoit les autres

13:1619/08/2024, lundi
AFP
L'annulation du concert de Fally Ipupa à Goma, dans l'est de la RDC, provoque la déception des fans et des tensions en raison de l'état de siège dans la région.
Crédit Photo : Kenzo Tribouillard / AFP Archive
L'annulation du concert de Fally Ipupa à Goma, dans l'est de la RDC, provoque la déception des fans et des tensions en raison de l'état de siège dans la région.

Attendue depuis cinq ans, la visite de la star congolaise Fally Ipupa à Goma, dans l'est de la République démocratique du Congo, région en proie à une résurgence de violences depuis 2021, n'a satisfait qu'une poignée de privilégiés, tandis qu'un autre concert pour le grand public a été annulé.

Deux concerts caritatifs étaient prévus jeudi et vendredi, offrant aux fans l'occasion d'ouvrir une brève parenthèse dans un quotidien assombri par le conflit. Le premier concert, destiné à l'élite de Goma, a eu lieu dans l'un des hôtels les plus chers de la capitale de la province du Nord-Kivu.


Parmi les présents, le vice-gouverneur militaire, deuxième autorité de cette région soumise à l'état de siège depuis 2021, s'est déplacé pour l'occasion.


Le prix d'entrée s'élevait à 100 dollars, tandis que les tables VIP, offrant une vue privilégiée sur la scène avec champagne inclus, dépassaient les 2 000 dollars. Quelques centaines de chanceux ont ainsi pu assister à plus de deux heures de spectacle de l'icône de la Rumba congolaise. Fally Ipupa a glissé quelques mots en mémoire des victimes du conflit, et a été arrosé de billets de 100 dollars par un riche entrepreneur local.

Un second concert, destiné à un public plus large, devait se tenir le lendemain sur un terrain au bord du lac Kivu, à l'ouest de la ville. Le prix d'entrée de cinq dollars restait inaccessible pour une grande partie de la population, dans un pays où environ 74,6 % des habitants vivaient avec moins de 2,15 dollars par jour en 2023, selon la Banque mondiale.


"J'ai connu Fally quand j'avais 28 ans. J'aurais aimé aller le voir, mais je manque d'argent",
déclare Mudege Manigabe, 74 ans, cordonnier dans le quartier de Ndosho à l'ouest de la ville.

Jule Polizien, 22 ans, vendeur dans une cafétéria, affirme:


j'aurais préféré que le concert soit gratuit, car nous sommes en guerre. Néanmoins, s'il va chanter pour compatir avec la population, c'est une bonne chose.

Pour une partie de la jeunesse de Goma, une telle opportunité était
"impossible à rater"
, estime un jeune diplômé qui préfère s'exprimer sous couvert d'anonymat.

Au sein d'un groupe d'amis avec des verres à la main, une jeune fille se lance:


Une grande star comme ça, il n'est pas souvent au Congo, alors à Goma, il faut en profiter.

Dès les premiers essais de micro, plus de 2 000 personnes se sont précipitées vers la scène pour occuper les premiers rangs.
"J'espère que ça va montrer que Goma n'est pas seulement une ville où on a peur"
, affirme Léa, étudiante à Goma.

"On n'est pas toujours censés vivre avec des traumatismes liés aux coups de feu et aux balles parce qu'à Goma, ça tire, ça tue, c'est la chanson de tous les jours, mais la vie doit continuer",
abonde David De Mielo, artiste chanteur présent dans le public.

Cependant, alors que les heures passent et que le soleil tombe, Fally Ipupa n'arrive toujours pas. Bientôt, des rumeurs d'annulation circulent sur WhatsApp, et la police anti-émeute se déploie pour prévenir d'éventuels troubles.


Déçus, des spectateurs quittent calmement les lieux, mais quelques esprits s'échauffent près de la scène, lançant des projectiles. La police disperse la foule avec des tirs de sommation et des gaz lacrymogènes.

Plusieurs spectateurs sont légèrement blessés, dont David De Mielo, tombé et piétiné dans la cohue.


"On a bouffé notre argent",
peste Nathan Tubure, un spectateur.
"On est tellement déçues",
déclare Judith, une jeune femme croisée à la sortie.

Quant aux raisons de cette annulation, un proche de la star a confié à l'AFP que son équipe avait attendu en vain le feu vert du comité d'organisation.

Ce dernier a invoqué sur les réseaux sociaux des raisons de sécurité, expliquant que les taxis motos, principal moyen de transport, sont interdits de circulation après 18 heures en raison de l'état de siège. Le retard de l'équipe risquait de créer un attroupement difficile à gérer.


Cette mesure, déjà réputée pour empêcher une bonne partie de la jeunesse de se divertir dans les bars du centre le soir, faute de moyens pour payer un taxi, a ainsi mis un terme à une soirée que beaucoup attendaient avec impatience.


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