Plus de vingt livres et bon nombre de documentaires, de rapports officiels et indépendants ont été consacrés au génocide du Rwanda, éclaté le 7 avril 1994. Tous, corroborés de faits révélés et étayés de documents et de témoignages de rescapés et d'acteurs directs dans la tragédie, démontrent sinon l'implication -voire la complicité de la France, du moins sa responsabilité.
En héritant du Rwanda, après la Première Guerre mondiale, la Belgique s'accommoda du système sociétal qui prévalait, dominé et dirigé par les minoritaires mais riches éleveurs Tutsi, acceptés par les majoritaires Hutu, paysans agriculteurs et par la petite communauté Mwa, formée d'ouvriers et d'artisans.
Pour renforcer sa présence, l'administration belge étendit le pouvoir des Tutsis, jusqu'au Nord-ouest où les Hutus jouissaient, jusque-là, d'une certaine autonomie, leur ouvrit exclusivement les portes de l'éducation et de la gouvernance et établit même, dès 1931, des documents d'identité, mentionnant l'appartenance ethnique des citoyens rwandais. Une manière de davantage séparer pour mieux gouverner. Les grains de la haine étaient semés.
La fuite vers les proches Burundi, Congo et Ouganda, devint massive. Le Rwanda avait à peine obtenu son indépendance (1er juillet 1962).
Pour faire amende honorable, face à l'unanime condamnation internationale de ce forfait et de ses conséquences, le pouvoir Hutu en place réussit à plus ou moins contenir la persécution systématique et à grande échelle des Tutsis. Entre-temps, les réfugiés expatriés s'organisaient et aspiraient à revenir au pays. C'est ainsi qu'en Ouganda, naissait le Front patriotique rwandais (FPR), fortement soutenu et armé par les autorités de Kampala, au point de pouvoir réussir des incursions en territoire rwandais et mener des opérations de sabotage, commettre des massacres de représailles, avant de s'emparer de pans du pays et provoquer, en 1990, une guerre civile, dont le président Juvénal Habyarimana, arrivé par un coup d'Etat en 1973, fut largement responsable, tant sa poigne a été de fer et sa répression envers autant les Tutsis que ses opposants Hutu modérés, fut sans limites.
Avec la rébellion qui se renforçait, la guerre civile qui s'étendait et les avancées du FPR qui s'affermissaient, il deviendra plus permissif encore, laissant son armée et ses milices multiplier les assassinats ciblés et sauvages, des civils Tutsi et Hutu opposants.
Les tueries cycliques de grande envergure, en octobre 1990, février 1991, mars 1992 et février 1993, susciteront l'indignation, en Afrique et dans le monde. L'Organisation de ľUnion Africaine et des chefs d’Etat, dont notamment l'emblématique Nelson Mandela, pèsera de tout leur poids pour imposer des pourparlers qui déboucheront sur les accords d'Arusha (Tanzanie), le 4 août 1993 qui stipulent, entre autres, un nouveau gouvernement transitoire mixte, le retour des réfugiés, l'intégration d'un contingent des combattants du FPR dans les forces régulières et le déploiement de Casques bleus, pour faire respecter le traité de paix. Ce n'était pas pour réjouir les Hutus, surtout pas les purs et durs.
Aussi la thèse qu'ils soient derrière l'attentat aux missiles du 6 avril, qui a ciblé l'hélicoptère où se trouvaient Habyarimana et le président Burundais, trouve-t-elle explication et arguments dans le déroulement quasi-coordonné des événements. En effet, l'attentat a été précédé du durcissement de la position des partis extrémistes opposés à Arusha qui donnaient de la voix, pour inciter à l'extermination des Tutsis.
Le sang coulait partout, dans la rue, les écoles, les églises, de sorte qu'en à peine trois mois, entre 800 000 et un million de Tutsis, seront tués, par balles, à la machette ou lapidés, par l'armée Hutu et ses milices. Le cauchemar ne prendra fin qu'avec la prise de Kigali, le 4 juillet, par les forces du Front patriotique rwandais. Les militaires français de l'opération "Turquoise", mandatés dans l'urgence par l'ONU, moins de deux semaines plus tôt (résolution du 22 juin 1994), pour protéger les civils, n'y auront pas été pour grand-chose.
Invité à la commémoration du 30e anniversaire du déclenchement de ce génocide, le président français se fera représenter par son ministre des Affaires étrangères, Stéphane Séjourné, et par le secrétaire d'Etat chargé de la Mer d'origine rwandaise, Hervé Berville, qui, fort à parier, ne seront pas à l'aise, après la déclaration d'Emmanuel Macron, rapportée par l'Elysée jeudi dernier, où il dit notamment que:
La France aurait pu arrêter le génocide de 1994, avec ses alliés occidentaux et africains, mais n'en a pas eu la volonté.
Cette manière, politiquement intelligente, humainement sournoise, de se décharger et de se fondre dans la masse jusqu'à ne plus apparaître parmi les "accusés", prend toute sa dimension dans les phrases clefs qui s'imprègnent dans les esprits:
Quand la phase d'extermination totale contre les Tutsis a commencé, la communauté internationale avait les moyens de savoir et d'agir.
Nous lui rappellerons juste que ce n'est un secret pour personne que pour étendre sa zone d'influence, la France comptait sur des alliés sur le continent, dont le président Hutu, soutenu par Paris, depuis le milieu des années 1970, politiquement, en matériel de guerre et en formation des forces armées.
C'était pour empêcher un inévitable bain de sang, si ces derniers étaient arrivés à Kigali.
Ce disant, il semble oublier que les Hutus, alliés de la France, faisaient déjà couler le sang et à flot et que justement, lorsque ces forces ont pris Kigali, quatre ans plus tard, les massacres ont cessé.
Ce serait, enfin, de la redondance que d'énumérer, après cela, les déjà connus rapports, livres ou documentaires qui apportent les preuves de la longue implication de la France, dans et après le génocide. Minimiser sa responsabilité politique et militaire dans ce drame n'aide pas à tourner définitivement la page.